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LE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE
2 décembre 2005

Le Monde: "le réchauffement climatique bouleverse le quotidien des Inuits"

LE MONDE | 15.11.05 | 14h32  •  Mis à jour le 15.11.05 | 20h28

QALUIT (CANADA) ENVOYÉE SPÉCIALE

Qui eût cru voir un jour des ours polaires aussi maigres que les vaches sacrées de l'Inde ? Pas Simon Awa, haut fonctionnaire au ministère de l'environnement du Nunavut. Dans son bureau d'Iqaluit, capitale de ce territoire canadien dont 85 % de la population est inuite, il raconte la surprise des habitants de Clyde River voyant arriver deux ours faméliques dans leur village de l'île de Baffin, au nord du cercle arctique : "Du jamais-vu ! Nous avons la plus grosse population d'ours polaires au monde, mais ils sont menacés de disparition à cause du réchauffement climatique." Avec la fonte de la banquise, ils peinent à tuer les phoques dont ils se nourrissent et moins d'oursons naissent.

Les ours, dont la chasse a été encadrée, ne sont pas les seuls à souffrir du changement climatique. Pour des raisons tant économiques que culturelles, les Inuits ne peuvent se passer de leur country food (phoques, caribous, ours, poissons...). "Chez vous, explique Sheila Watt-Cloutier, présidente de la Conférence circumpolaire inuite, le froid et la neige ont des vertus récréatives. Ici, la nature est notre supermarché ; la glace est notre moyen de transport, un outil pour survivre, aller chasser ou pêcher en toute sécurité."

Signe des temps : les Inuits, qui avaient huit saisons pour décrire les variations du climat, n'en utilisent plus que quatre ! Autrefois maîtres en météo, les anciens se gardent désormais de prédire le temps, répétant que l'Arctique est entré dans l'ère de l'imprévisible. A la Maison des aînés, Sami Peter regarde le ciel : "Autrefois, les nuages nous disaient tout du temps des jours à venir. Maintenant, on attend le matin même pour partir à la chasse."

SOL DE PLUS EN PLUS MOUVANT

Au sortir d'une réunion de "terminologie" où l'on cherche de nouveaux mots en inuktitut pour parler d'ozone ou de gaz à effet de serre, Alice Ayalik souligne que, "l'hiver dernier, on n'a jamais eu la bonne neige pour apprendre aux jeunes à construire des igloos".

Vendeur de poissons et de viandes sauvages, Jim Currie n'est pas optimiste : "Notre haute saison de pêche va de décembre à avril. Depuis trois ans, les conditions de gel sont mauvaises et il faut attendre janvier pour s'aventurer sur la banquise." L'hiver dernier, dans le poissonneux détroit de Cumberland, l'eau a tant tardé à geler que les Inuits n'ont eu que quelques semaines pour aller tendre leurs lignes de pêche sous la glace, entre deux treuils.

Pour l'instant, le poisson vedette qu'est l'omble de l'Arctique a pris du poids, mais James D. Reist, spécialiste canadien des poissons arctiques, ne donne pas cher de sa peau : "A hauteur du Labrador, il va profiter d'une hausse des températures mais, plus au nord, l'espèce sera désavantagée, avec une perte de nutriments liée au réchauffement de l'eau et une nouvelle compétition, à armes inégales, du saumon de l'Atlantique remontant vers le nord."

L'intérêt des scientifiques pour les changements climatiques dans la région ne se dément pas. A l'Institut de recherche du Nunavut, Mary Ellen Thomas recense une quarantaine de projets. Leurs résultats compléteront le rapport sur les impacts du réchauffement de l'Arctique publié fin 2004. Pour Mme Thomas, toutefois, "ce rapport arrive dix ans trop tard, dix ans après que nous avons sonné l'alarme dans l'indifférence générale. La science confirme seulement nos craintes". Elle cite les pertes consistantes des glaciers, l'apparition d'insectes et de plantes inconnus sous ces latitudes, des morues de l'Atlantique migrant au nord à la recherche d'eaux froides, des colonies de goélands décimées, des caribous malades...

"Les Inuits ne sont pas fâchés, mais inquiets, dit encore Simon Awa. Nous travaillons sur un plan d'action pour modifier nos comportements, adapter par exemple les normes de construction pour prendre en compte la fonte du permafrost", ce sol théoriquement gelé en permanence. Son dégel accéléré est préoccupant pour les bâtiments sur pilotis. Même ancrées profondément, les fondations de certains se retrouvent au niveau d'un sol de plus en plus mouvant. Celles-là sont les premières à subir des dommages, souligne Réjean Jacques, entrepreneur québécois qui vit à Iqaluit depuis dix-sept ans. "La technique des pilotis a fait ses preuves, dit-il, mais on a peur parce qu'on ne sait pas jusqu'où va aller la désintégration du permafrost."

Anne Pélouas

Article paru dans l'édition du 16.11.05

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